L’open data des décisions de justice

En 2016, plus de trois millions de décisions, contentieux civil et pénal confondus, ont été rendues dans les tribunaux. Pourtant, Legifrance n’en a diffusé qu’environ 13 000, soit 3 à 4 % du total seulement… Mais avec la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019, la révolution de l’open data des décisions de justice est semble-t-il en marche. Justiciables et professionnels du droit pourraient bénéficier de cette nouveauté majeure. Alors, qu’attendre au juste de l’ouverture des données de la justice ?

 

Open data des décisions de justice : la situation actuelle en France

Initié en 2016, l’open data va se concrétiser avec la loi de programmation du 23 mars 2019.

 

Le défi technique de l’ouverture des données

L’open data a été introduit par la loi n°2016-1321 pour une République numérique du 7 octobre 2016 (articles 20 et 21). Mais, c’est surtout le rapport de 2017 rendu par la mission d’étude dirigée par Loïc Cadiet qui a permis de faire avancer le débat sur l’open data en mettant à jour 20 recommandations pour rendre possible l’ouverture des données.

Ainsi, l’open data semble être confirmé avec le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (loi n°2019-222 du 23 mars 2019). Ce projet prévoit de faire de l’open data des décisions de justice un vecteur de la transformation numérique de la justice et de l’accès au droit pour tous. À cet effet, l’open data des décisions de justice sera piloté par les juridictions suprêmes de l’ordre judiciaire et administratif. On attend encore le décret d’application précisant les contours de la réforme et ses modalités pratiques. Il faudra mettre en œuvre un processus en 3 temps :

  • Collecte des données jurisprudentielles,
  • Traitement et anonymisation des décisions,
  • Diffusion

Concrètement, la Cour de cassation gère déjà 2 bases de données : Jurinet et Jurica. Pour la Haute juridiction, la transition consistera à passer d’un traitement encore inabouti des données à un traitement en masse d’un nombre important de données. La diffusion à grande échelle devrait intervenir sur son site Internet.

 

Une régulation nécessaire face aux incertitudes restantes

Déjà, l’open data des décisions de justice implique une anonymisation renforcée pour les magistrats, membres du greffe, avocats ainsi que pour les particuliers. La pseudonymisation telle qu’elle est actuellement a montré ses limites et devra être affermie pour garantir le respect de la vie privée et la protection des données personnelles. Se défaire du risque de réidentification sera également un passage obligé.

Autre problème : toutes les décisions de justice ne sont pas à mettre sur le même pied d’égalité. Si la démarche d’information et de transparence est louable, l’analyse de cette information doit être remise en perspective. En effet, la masse des données ne pourra se révéler utile que si elle est organisée et triée de façon approfondie pour la sortir de ce magma informe et pouvoir en tirer des enseignements.

Ainsi, il faudra aussi avoir un œil sur les algorithmes permettant d’analyser les décisions pour s’assurer de leur fiabilité mais aussi prendre conscience de leurs limites. Une instance commune entre la Cour de cassation et le Conseil National des Barreaux sera ainsi prochainement mise en place pour encadrer la régulation des données.

 

Les enjeux de la libération des données de la justice

L’open data des décisions de justice provoque diverses conséquences directes et indirectes pour les professionnels du droit.

 

De nouvelles perspectives pour le marché du droit

Certains éditeurs juridiques mais surtout certaines start-up du droit ou legaltech ont besoin des données issues des décisions judiciaires. En effet, grâce à l’intelligence artificielle et aux algorithmes, il pourra être possible de brasser un nombre très élevé de données et d’en tirer des statistiques intéressantes pour les justiciables et pour les avocats. Des acteurs comme Lexbase, Doctrine, Predictice, Case Law Analytics ou JuriPredis se sont emparés de ces enjeux.

Ainsi, l’accès à ces données permettra de déduire les chances de perte ou de gain dans un procès, et même d’estimer une fourchette chiffrée des dommages et intérêts dans certains contentieux. Polémique et contestée au sein du monde du droit, la justice prédictive, que certains préfèrent appeler justice quantitative, s’appuiera sur les données accessibles pour former des prévisions. Sans être une science exacte et généraliste, ces probabilités pourraient néanmoins être un outil utile aux professionnels. Par exemple, les avocats pourront bâtir une stratégie judiciaire en se focalisant sur les arguments qui font mouche devant les tribunaux. L’ouverture des données pourra également mettre en lumière le caractère stérile de certains procès et peut-être favoriser le règlement extrajudiciaire des litiges.

 

La mutation des pratiques professionnelles

Autre opportunité pointée par le rapport Cadiet, l’open data pourrait faciliter l’automatisation de certaines tâches simples pour les professionnels du droit et les avocats en premier lieu.

Ainsi, les avocats auront la possibilité de se concentrer sur des activités à forte valeur ajoutée plutôt que de perdre du temps sur des tâches peu complexes. L’assistance des outils technologiques de demain, comme le cloud, l’API de Jarvis Legal ou bien sûr l’open data, permettra aux informations de circuler, aux différentes solutions de discuter les unes avec les autres pour faciliter le quotidien des professionnels qui s’appuieront sur ces outils.

 

En autorisant un large accès à l’information juridique, l’open data des décisions de justice témoigne de la volonté de rendre la justice plus transparente. Si l’open data en est encore à ses débuts, il ouvre néanmoins des perspectives intéressantes, à encadrer et à réglementer. Autant d’opportunités d’avenir dont il faudra s’emparer !