Petit éloge de la plaidoirie ou Histoire d’un faux avocat à la robe trop serrée
L’affaire est cocasse. La semaine dernière, un article de la presse régionale relayé par la suite par la presse nationale annonçait qu’un escroc prétendu avocat qui avait eu le culot de défendre un accusé dans une quelconque affaire d’escroquerie avait été trahi par sa plaidoirie et sa robe noire un peu trop petite pour lui ! Cette affaire peut prêter à sourire. Elle est pourtant révélatrice. En effet, dans l’imaginaire collectif, un avocat, c’est une robe noire et des plaidoiries. Une vision peut-être réductrice mais néanmoins symptomatique d’un système à l’ancienne qui a peut-être encore du bon, n’en déplaise à ses détracteurs.
Comme le souligne Laurent Béard, substitut du procureur, dans l’affaire sus évoquée, « nous voyions bien que nous n’étions pas sur une plaidoirie habituelle.
Il n’y avait ni le ton, ni le contenu juridique, ni les demandes traditionnellement formulées par un avocat ». Le faux avocat à la robe trop serrée, pourtant fier de sa plaidoirie, a logiquement été mis en examen pour « exercice illégal de la profession d’avocat » et « escroquerie », il risque jusqu’à un an de prison et 5 000 euros d’amende. C’est qu’il existe un art de la plaidoirie.
Une affaire qu’il est bon de rappeler dans une période difficile pour l’avocat et son art oratoire. La rhétorique de l’avocat. Un fantasme pour tous les étudiants en droit. Pourtant, parait-il, l’ « oralité » n’est plus de bon ton. Et, en effet, force est de constater que l’heure est à la remise en cause de la plaidoirie. La cause ? L’engorgement des tribunaux sans nul doute. Des procès sans plaidoirie serait un gain de temps évident selon les détracteurs de l’oralité (ce qui est sans doute vrai pour certaines affaires). Mais pas seulement. Ceux-là avancent également la nécessité d’une remise à plat intégrale du système de l’audience pris dans sa globalité, une audience qui s’est sans nul doute éloignée de sa finalité originelle pour devenir purement matérielle ou procédurale, entre dépôt et observations à l’appel de cause, faites vos jeux, rien ne va plus !
À l’opposé, la plaidoirie a également ses défenseurs. Et fort heureusement serait-on tenté d’avancer. Ceux-là de replacer l’exercice au cœur même du procès. Et si l’affirmation pourrait passer pour une lapalissade, elle mérite cependant ici d’être soulignée parce que c’est finalement le cœur du débat : une cause ne sera jamais défendue à l’écrit comme elle le sera à l’oral. Elle pourra être bien rédigée, bien argumentée et solide juridiquement parlant mais la rhétorique sera capable de faire passer bien d’autres choses, parce qu’au-delà du raisonnement et de l’intellectuel elle a ce don de faire vivre une affaire. Parce qu’un procès, au-delà du droit, ce sont avant tout des hommes. Plaider ce n’est pas seulement avancer des arguments et les défendre à grands coups de visas, ce n’est pas seulement relire ses conclusions, plaider c’est faire vivre un procès, c’est faire connaitre des protagonistes, c’est parler d’une histoire. C’est faire vivre le principe du contradictoire. Donner un sens. Convaincre. Repenser l’audience oui, mais pas au détriment des plaidoiries. Il faut que l’éloquence se poursuive. Qu’elle retrouve même toutes ses lettres de noblesse et toute sa superbe !
Reste qu’une nouvelle donne est aujourd’hui à prendre en compte : la crise sanitaire pousse en effet sans conteste à une hyper numérisation des métiers. Y compris de la profession d’avocats. Est-ce dire que la plaidoirie vit ses derniers jours ? Gageons que l’avenir nous prouve le contraire. Aussi, la digitalisation du droit ne saurait entraîner celle des audiences. Car un procès sans plaidoirie, c’est aussi enlever un peu plus d’humain à une profession d’ores et déjà fortement digitalisée. Et, à cet égard, la digitalisation de la profession d’avocats plaide d’ailleurs d’elle-même en faveur de la plaidoirie et ce dans une optique simple : remettre l’humain au cœur du procès.